Les filles de Roanoke
Amy Engel
Plongée étouffante au cœur des relations troubles d’une famille d’aujourd’hui, Les Filles de Roanoke est un véritable page turner atmosphérique et haletant. Amy Engel distille avec talent le poison des non-dits, dans la lignée des grands romans de Joyce Carol Oates.
- Les filles de Roanoke ne font jamais long feu ici.
En lisant cette phrase à la fin du premier chapitre, le ton était donné.
Après le suicide de sa mère, la jeune Lane Roanoke va partir vivre chez ses grands-parents maternels dans le vaste domaine de Roanoke dans la bourgade perdue d’Osage Flats, au fin fond du Kansas. Elle y fera la connaissance de sa pétulante cousine Allegra de six mois sa cadette. Très vite elle va s’apercevoir qu’il y a quelque chose qui cloche avec les portraits de familles des filles Roanoke. Jane, Sophia, Eleanor, Camilla, Penelope, Emmeline toutes ont eu un destin ou une fin tragique. A ce propos l'arbre généalogique prévu de la famille Roanoke sera le bienvenu. Elle y restera le temps d’un été et finira par s’enfuir.
-En fin de compte, soit nous fuyons, soit nous mourons.
Plusieurs années plus tard, Lane reviendra à Roanoke à la demande de ses grands-parents, car Allegra a disparue. A partir de là, les chapitres vont s’enchaîner en alternant passé – présent. Cela va donner un rythme au livre qui se lit très facilement bien qu’il n’y ait ni véritable suspense, puisque l’on sait de quoi il s’agit dès la page 49, ni action. L’ambiance est terriblement pesante et lourde, il fait chaud et entre alcool et sexe, le temps s’écoule dans une atmosphère délétère. Comment décrire cette famille même le mot dysfonctionnel n’est pas assez fort. Les sombres secrets semblent remonter à des générations et atteindre leur apogée avec la disparition d’Allegra. Pourtant l’enquête n’est pas menée comme dans un roman policier classique même si Tommy le Shérif a un rôle important à jouer, ce n’est pas celui que l’on croit. Le talent de l’auteure est aussi de nous faire ressentir le la vie au jour le jour d’une petite bourgade des Etats-Unis avec des autochtones englués dans leurs habitudes. Une vie morne et terne dans laquelle Sharon, la cuisinière et Charlie, l’homme à tout faire se sont glissés volontairement. Ce roman est bien écrit, il a réussi à me troubler par son côté sombre et le fait qu’il soit principalement écrit du point de vue de Lane, nous la rend attachante. J’ai aimé qu’il soit ponctué de courts passages sur l’histoire de chacune des disparues avec pour en tête leurs prénoms et les dates de naissance et de décès. Les personnages sont bien dessinés et leurs interactions sont authentiques, celui de Cooper est de ce point de vue extrèmement réaliste. Les sujets traités peuvent nous mettre mal à l’aise pourtant je dois reconnaître que l’auteure s’en sort bien avec sensibilité sans tapage ni pathos. J’aurai plaisir à lire son prochain roman. J'ai beaucoup aimé lire le mot de fin de la traductrice qui est très juste. Bonne lecture à vous.
- Aide-moi, Alegra, murmurais-je. J'y arriverai pas sans toi.
Aucune réponse, évidemment, si ce n'est la pluie qui tambourine contre le toit et les fenêtres. J'ai l'impression de dériver sur un petit bateau dans l'océan, ballottée par la tempête. Le sommeil m'emporte. La pluie a cessé quand je m'éveille, mais le soleil n'a pas encore réapparu. Je devrais sans doute aller voir quelle heure il est, faire autre chose que galvauder un après-midi de plus, mais je n'arrive pas à me lever. J'avais oublié l'étrange inertie de ce lieu : une fois enter ses murs, on se désintéresse du monde extérieur.