Fais de moi la colère
Je remercie les éditions Les Escales pour l'envoi de ce livre.
Vincent VILLEMINOT
Vincent Villeminot, quarante-six ans, a longtemps vécu au bord du lac Léman. Un temps journaliste-reporter, il est romancier depuis dix ans, pour les adolescents et les jeunes adultes. Il est notamment l'auteur de U4. Stéphane et Instinct, tous deux parus chez Nathan (Syros). Fais de moi la colère est son premier roman en littérature générale.
Le jour où son père, pêcheur de longue date, se noie, Ismaëlle se retrouve seule. Seule, vertigineusement, avec pour legs un métier d'homme et une chair de jeune fille.
Mais très vite, sur le lac franco-suisse, d'autres corps se mettent à flotter. Des morts nus, anonymes, par dizaines, par centaines, venus d'on ne sait où –; remontés des profondeurs de la fosse.
C'est en ces circonstances qu'Ismaëlle croisera Ezéchiel, fils d'un " Ogre " africain, qui a traversé les guerres du continent noir et vient sur ces rives affronter une Bête mystérieuse.
Fais de moi la colère est le récit halluciné, à deux voix, de leur rencontre, et de la partie de pêche qu'ils vont mener –; échos lointains de Moby Dick. Une partie de pêche où le désir, la convoitise,
le blanchiment, les génocides, sont autant de Léviathans. Mais où la joie, comme les larmes, pourra gonfler les ventres.
Ma chronique :
Je suis partie sans aucun à priori dans la lecture de « Fais de moi la colère » de Vincent Villeminot puisque je ne le connaissais pas en auteur jeunesse. J’ai été surprise, décontenancée et pour tout dire pas mal chamboulée par ce récit mais surtout je l’ai lu d’une traite et j’ai ai apprécié chaque ligne.
Suite à la noyade de son père, la jeune Ismaëlle se retrouve seule au monde et décide de reprendre cette activité d’homme pour assurer sa survie. Elle part pêcher sur le Lac Léman mais très vite des corps remontent des profondeurs, de plus en plus nombreux, nus, anonymes, ils envahissent le Lac sans que l’on sache pourquoi et d’où ils viennent.
Puis vient la rencontre avec le grand, beau et noir ébène Ezéchiel, fils de l’Ogre. Il arrive d’Afrique où il a combattu sur fond de génocide, pour affronter Mammon la bête tapie dans le lac. Entre ces deux là, la relation n’est pas simple du désir exacerbé, du rejet, de la peur, de l’attirance aussi. Ensemble, ils partiront chasser la bête.
Comment ne pas être sous le charme tant de l’écriture que du récit qui nous est proposé. C’est fort et puissant sans aucune concession. Le langage y est engagé, rude parfois violent et pourtant il y a aussi une poésie, un lyrisme, une sensualité qui nous emporte dans tout ce que l’être humain peut avoir de mauvais. Le roman se partage entre la narration d’Ismaëlle et celle d’Ezéchiel, en chapitres bref sous forme tantôt de dialogue ou bien de monologue. Le mot « Greed » est souvent employé, il veut dire avidité en anglais aussi il nous permet de mieux cerner le pourquoi, ce qui motive les hommes profondément et le constat n’est pas joli. Ezéchiel a vécu la violence d’un père dictateur et les horreurs de la guerre, Ismaëlle la perte de ses deux parents, le jugement et la désapprobation de la communauté. Comme une évidence dans leur rencontre, une symbiose créatrice et un côté éphémère qui rend tout cela précieux. Bonne lecture.
Citation :
J’avais cette dureté, cette endurance au mal de notre espèce ; nous, filles – femmes, mères, femelles. Nous, ouvrières, travailleuses ; pécheresses. Corps et âme faits/forgés pour une patience infinie à la douleur – mêmes gestes, répétés à l’infini – mêmes contractions, pousser, expulser malgré l’étroitesse du bassin dans nos hanches. Travail. Science immémoriale.
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Le soir où les gendarmes me restituèrent sa barque, j'y montai. Je n'avais plus de parents. Pas d'attaches. Une amarre, seulement. Un anneau au port. Un bateau, une barque, un banc de nage. Le labeur nous assigne à un lieu, une condition, une chaîne. J'y demeurai assise pendant une heure. Le port se taisait.