Ici n' est plus ici
Je remercie les Editions Albin Michel pour l'envoi de cette nouvelle lecture.
Traducteur : Stéphane Roques
Tommy Orange
Né en 1982, Tommy Orange a grandi à Oakland, en Californie, mais ses racines sont en Oklahoma. Il appartient à la tribu des Cheyennes du Sud. Diplômé de l’Institute of American Indian Arts, où il a eu comme professeurs Sherman Alexie et Joseph Boyden, il a fait sensation sur la scène littéraire américaine avec ce premier roman.
Débordant de rage et de poésie, ce premier roman, en cours de traduction dans plus d'une vingtaine de langues, impose une nouvelle voix saisissante, véritable révélation littéraire aux États-Unis. Macadam Indian a été consacré « Meilleur roman de l'année » par l'ensemble de la presse américaine. Finaliste du prix Pulitzer et du National Book Award, il a reçu plusieurs récompenses prestigieuses dont le PEN/Hemingway Award.
Ma chronique :
Il est toujours agréable de découvrir un nouvel auteur qui se démarque par un style très personnel, c’est le cas de ce roman choral qui fait apparaître avec talent une douzaine de personnalités issues de la communauté des Indiens d’Amérique. Avant tout chose le prologue nous donne le ton sur une communauté minoritaire encore stigmatisée dans une Amérique coupable de génocide. Le découpage est original chaque chapitre court concerne le destin d’une personne que l’on retrouve au fil du récit. On aurait pu penser qu’il s’agisse de courtes tranches de vie mais c’est plus que cela. Nous allons découvrir les différents liens qui peuvent unir ces personnages et les interactions entre eux sont habilement amenées. Ces portraits d’indiens de la ville sont brossés avec amour et empathie, on y dévoile leurs faiblesses et leurs forces. L’image que nous pouvons avoir des natifs comme des personnes à la recherche de leur identité est entachée par l’alcoolisme, la drogue, le suicide et la perte de repère. Tout va se jouer lors du grand rassemblement tribal annuel qu’est le Pow Wow d’Oakland. Leurs motivations pour s’y rendre sont personnelles, certains y vont pour danser ou jouer du tambour, un autre pour recueillir la parole des anciens, nous suivrons aussi des organisateurs de la manifestation et le maître de cérémonie et d’autres avec des buts moins avouables. Cette une grande famille où chacun peut se ressourcer et se connecter. Chaque tribu expose fièrement ses différences et les vêtements de cérémonies sont bariolés et portés pendant la danse traditionnelle. Pourtant un nuage noir plane au dessus de leur tête qui éclatera, révélant la brutalité, la violence et la destruction. Nombreux sont ceux qui seront alors touchés par ce drame. L’écriture est superbe à ce moment j’avais le sentiment de vivre un épisode en Slow Motion, un ralenti frisant l’arrêt sur image afin que la tragédie s’encre profondément en nous. Une lecture riche d’enseignements et une émotion intacte. Bonne lecture.
Citation:
Les indiens urbains se sentent chez eux quand ils marchent à l'ombre d'un building. Nous sommes désormais plus habitués à la silhouette d'un gratte-ciel d'Oakland qu'à n'importe quelle chaîne de montagnes sacrées, aux sequoias des collines d'Oakland qu'à n'importe quelle forêt sauvage. Nous sommes plus habitués au bruit d'une voie express qu'à celui des rivières, au hurlement des trains dans le lointain qu'à celui des loups, nous sommes plus habitués à l'odeur de l'essence, de béton coulé de frais et de caoutchouc brûlé qu'à celle du cèdre, de la sauge, voire du frybread - ce pain frit qui n'a rien de traditionnel, comme les réserves n'ont rien de traditionnel, mais rien n'est original, tout vient d'une chose préexistante, qui elle-même fut précédée par le néant. Tout est nouveau et maudit. Nous voyageons en bus, en train et en voiture à travers, sur et sous des plaines de béton. Être indien en Amérique n'a jamais consisté à retrouver notre terre. Notre terre est partout ou nulle part.
Cela te coûte beaucoup de boire comme cela. Ton foie. Celui qui fait le plus pour toi, qui désintoxique ton corps de toute la merde que tu lui fais avaler.