Mon coeur restera de glace
Je remercie les Editions Belfond pour l'envoi de ce nouveau roman noir.
Éric Cherrière
Il existe au cœur du cœur de la forêt un endroit où vivent les sapins les plus anciens, protégés du vent comme de l'exposition au soleil, de la pluie, de la neige. Protégés aussi du regard des hommes. Une combe lointaine et tempérée qui fut un jour une frontière infranchissable devant laquelle l'enfant s'était dit " Quand je serai grand, je vivrai là. "
Dans ces bois du fin fond de la Corrèze, un jeune garçon trouve refuge en 1918, en compagnie de son frère, une " gueule cassée ". Une guerre plus tard, des soldats allemands s'y enfoncent, sur les traces d'une de leurs unités disparues. Ces mêmes arbres que l'on retrouve en 2020, peints sur les murs de la chambre d'hôpital d'un vieillard allemand.
Aujourd'hui le vieil homme va parler. Révéler le secret de cette forêt qui ébranlera bien des existences, bien des certitudes. Bien des familles.
De 1918 et 1944 à 2020, Mon cœur restera de glace couvre un siècle de guerres fratricides. Ce roman noir, qui explore les destins d'individus ordinaires perdus aux carrefours de l'histoire, est aussi le roman de la beauté face à la violence. De ces fleurs qui poussent sur les champs de bataille.
Ma chronique :
Un superbe roman qui vogue sur trois temporalités et pas n’importe lesquelles. Chronologiquement l’année 1918 voit le retour d’un grand frère devenu une « gueule cassée », le petit frère prendra soin de lui dans les bois de Corrèze. Puis 1944 arrive, même lieux, d’autres soldats allemands partis à la recherche de leurs unités disparues. Enfin 2020, notre époque où l’on rencontre un des derniers combattants allemands raconter cette forêt et son histoire. Il est toujours passionnant de suivre les aventures des hommes « ordinaires », leur histoire se mêlant à la grande Histoire. L’auteur maîtrise parfaitement son sujet et nous conduit dans ces trois époques différentes à imaginer le lien qu’elles recèlent. J’ai lu le bouleversement des existences, des familles secouées par les guerres, souvent avec émotion mais aussi avec un grand intérêt. On devine un secret, un non-dit qui maintient des fils invisibles et pourtant bien présents. Dès la page 74, j’avais vu les choses venir pourtant cela n’a en rien diminué le plaisir de ma lecture. L’écriture de l’auteur est comme l’eau fraiche d’une rivière, on se laisse absorber avec plaisir, couler parfois mais toujours remonter vers le haut vivre la beauté du texte. J’ai apprécié les chemins de sous-bois que nous fait suivre l’auteur, la violence et le destin des hommes face à l’Histoire. Il y a là une profondeur, une sorte de fatalité, qui donne le sentiment de quelque chose de plus fort que soi. Un roman court qui pose dès le début une situation noire et particulièrement tragique. Des personnages forts et la magie d’un lieu. C’est bien écrit, bien imaginé et bien raconté que demander de plus ? Je peux vous assurer qu’à aucun moment mon cœur n’est resté de glace face à tant d’intelligence, c’est pour moi plus qu'un coup de cœur, un coup au cœur. Bonne lecture.
Citations :
Autrefois généreusement nourri à la graisse de phoque, le manteau en cuir noir dessiné par Hugo Ferdinand Boss n’est plus qu’une armure gelée, lourde et humide, dont Hünger se sépare sans hésitation au pied d’un arbre. Puis il reprend son poste d’éclaireur. Les gouttes ruissellent sur ses tempes, se faufilent dans son cou, glisse le long de l’épine dorsale, réveillant des sensations que sa peau n’a pas oubliées, et Friedrich Hünger croit un instant être retourné dans la Forêt-Noire d’une enfance qu’il n’aurait jamais dû quitter.