Dominique Manotti
Dominique Manotti est une légende du roman noir à dominante politique. Ses livres sont traduits dans une dizaine de langues. Elle a reçu pour Racket le prix Polar en série à Quais du polar en 2019. Marseille 73 est son treizième roman.
La France connaît une série d’assassinats ciblés sur des Arabes, surtout des Algériens. On les tire à vue, on leur fracasse le crâne. En six mois, plus de cinquante d’entre eux sont abattus, dont une vingtaine à Marseille, épicentre du terrorisme raciste. C’est l’histoire vraie.
Onze ans après la fin de la guerre d’Algérie, les nervis de l’OAS ont été amnistiés, beaucoup sont intégrés dans l’appareil d’État et dans la police, le Front national vient à peine d’éclore. Des revanchards appellent à plastiquer les mosquées, les bistrots, les commerces arabes. C’est le décor.
Le jeune commissaire Daquin, vingt-sept ans, a été fraîchement nommé à l’Évêché, l’hôtel de police de Marseille, lieu de toutes les compromissions, où tout se sait et rien ne sort. C’est notre héros.
Tout est prêt pour la tragédie, menée de main de maître par Dominique Manotti, avec cette écriture sèche, documentée et implacable qui a fait sa renommée. Un roman noir d’anthologie à mettre entre toutes les mains, pour ne pas oublier.
Ma chronique :
Il fut un temps où… Le roman de Dominique Manetti aurait pu commencer comme cela. L’action de ce polar noir se situe à Marseille en 1973. C’est toute une époque dont nous ne pouvons pas être fiers que l’auteure ravive pour nous, entre petite histoire et grande Histoire. On ne doit pas oublier que les ravages d’un racisme ordinaire à cette époque ont causé une hécatombe chez les immigrés algériens. Dix ans après la guerre d’Algérie, la communauté Pieds noirs se regroupe, le Front National émerge, les anciens de l’OAS ne lâchent rien, c’est la fin des « trente glorieuses » et le chômage grimpe. La communauté des travailleurs nord-africains commence à gêner, il y aura une manifestation pour protester contre la précarité de leur statut, la nuit sera sanglante. Le commissaire Théodore Daquin nouvel arrivant dans la cité phocéenne, a bien du mal à trouver ses repères dans ce milieu puant dont il se sent si éloigné. J’ai aimé le personnage de Daquin qui n’en revient pas du fonctionnement illégal de la Police et de l’impunité qui semble régner. Avec sa petite équipe, il avance comme un flic intègre et respectueux des lois. Il mettra tout en œuvre pour trouver le coupable du meurtre de Malek ce jeune algérien de 16 ans abattu en toute impunité. C’est un défi alors que l’affaire semble déjà vouloir être classée. Le style de l’auteure est franc et direct, on ressent toute la colère et le besoin de justice derrière chaque phrase. Une roman noir qui donne le frisson parce qu’il prend sa source dans la réalité de notre histoire et que l’on peut toujours se demander si les choses ont tant changé que cela en 50 ans. Le racisme est toujours là sournois, nous devons plus que jamais rester vigilant. Un livre comme celui-ci ne peut qu’aider à mettre les choses en perspectives. Bonne lecture.
Citations:
Daquin jette un dernier regard sur le Vieux-Port à ses pieds, l’eau glauque, immobile, les quais déserts, pas un bruit, pas un mouvement, la vie est suspendue. La ville ne respire plus. (…) Elle attend, elle pue le sang.
Vous êtes un très bon flic, je vous fais totalement confiance. Comment faites-vous pour travailler en bonne intelligence avec des gens qui truquent en permanence, et sont capables d’assassiner quand ils sont coincés ?» Réponse : «Je ne suis pas sûr de bien me comprendre moi-même. C’est ma ville. Je suis moitié allemand et moitié maltais. J’ai été bien accueilli, intégré, bien mieux que je ne l’aurais été n’importe où ailleurs. Je suis cent pour cent marseillais.