Le calligraphe
Je remercie les Editions Rivages/Noir pour l'envoi de ce nouveau titre.
Traduction de Silvain Chupin
Hisaki Matsuura
Hisaki Matsuura, né en 1954, est poète, romancier et professeur de littérature française à l'Université de Tokyo. Il s’est d’abord fait connaître à travers la poésie et la critique avant de venir à la fiction avec un recueil de nouvelles en 1996. Son œuvre a été récompensée par de nombreux prix au Japon. Le Calligraphe, traduit dans plusieurs langues, est son premier roman à paraître en France.
Otsuki, ancien toxicomane ayant décroché de l’université pour se laisser entretenir par des maîtresses, vit une existence de parasite à Tokyo. Une retrouvaille avec un camarade suintant la folie le mène à accepter un emploi auprès d’un mystérieux maître calligraphe. Ce dernier lui montre un film pornographique inachevé mettant en scène sa petite-fille, Tomoé, entrecoupé d’images d’insectes. Alors que le maître lui demande de terminer cette œuvre pseudo-artistique, Otsuki plonge peu à peu dans un cauchemar éveillé hanté par des personnages troubles et criminels, des doubles lunes et des énigmes métaphysiques sur la nature du temps.
Ma chronique :
Au japon on peut mesurer les dimensions d’une pièce en fonction du nombre de tatamis qu’elle peut contenir. Pour Otsuki, jeune quarantenaire, il s’agit d’une pièce de six tatamis dans une masure délabré d’un quartier de Tokyo. Ancien toxicomane, il végète et ne survit uniquement grâce aux femmes comme Hiroko qui l’entretiennent. Au hasard de ses déambulations dans les quartiers interlopes de la ville, il va suivre Sugimoto chez son maître Kôyama. Il assiste à la projection d’un film étrange entre pornographie et entomologie. Otsuki est troublé par la jeune actrice, d’autant plus qu’il apprend qu’elle est la petite fille du vieillard. Celui-ci lui demande de poursuivre son œuvre. A partir de là, la vie d’Otsuki va être bouleversée et transformée comme dans un mauvais rêve. Peur, hallucination, obsession, délire, rien ne lui sera épargné. Nous entrons dans une autre dimension fantasmagorique, plutôt effrayante. L’histoire se fait de plus en plus noire, les rencontres avec d’autres personnages apportent leur lot de violence et l’écriture de l’auteur devient nébuleuse. Les questionnements ne trouvent pas de réponse, les événements s’enchainent irrémédiablement et on sombre avec Otsuki dans un récit particulièrement noir et dérangeant. Un style singulier tantôt poétique, tantôt métaphysique avec des visions tirées d’on ne sait où forment un récit surprenant qui ne laisse pas indifférent et vient se rappeler à nous longtemps après la lecture. Le thème de l’identité est fort mais aussi celui de l’art de la calligraphie avec son esthétique du graphe allié à l’esthétique du corps. Cet enseignement réservé aux initiés porte en lui tout le côté ésotérique du roman. Une expérimentation à vivre au travers des lignes traduites avec justesse d’un monde si éloigné de notre occident qu’il en devient attrayant. Juste un point pour souligner la merveilleuse couverture qui n’est pas sans faire penser à Tomoe. Bonne lecture.
Citation :
Tu comprends, toi et moi on est dans le même bateau, on ne va que décliner toi et moi, que dépérir, et c’est pas que nous, tout est comme ça, l’époque est si lamentable, tout a commencé à sombrer, et donc il faut la jouer fine, s’efforcer de vivre agréablement et à fond le dépérissement, la dépravation, l’avilissement, la paresse, non, y a que ça à faire, non ?
L'essentiel, c'est d'être capable de croupir impudemment dans la décadence tout en conservant sa haine de la décadence et de la mollesse, et de supporter cette contradiction.