Les Brouillards noirs
Je remercie Le Livre de Poche pour cette lecture
en tant que membre du Jury du Prix des lecteurs 2024 section polar,
Patrice Gain
Les îles Féroé sont un archipel isolé, où un père cherche sa fille disparue, confronté à des coutumes violentes et à des autorités indifférentes. A la demande de son ex-femme, Raphaël, violoncelliste se rend sur place pour chercher sa fille Maude. Dès lors nous allons suivre son parcours pendant qu'il tente de mener l'enquête et de remonter la piste froide de sa fille. Maude était très investie dans l'écologie et militait avec une association contre la chasse aux globicéphales tués par centaines sur les côtes féroïennes. Un superbe roman d'atmosphère, sensible et captivant. La construction du roman se fait autour des traditions ancestrales tout en prenant en compte le climat et la géographie sauvage de cette région brute. Une autre dimension se dégage du personnage de Raphaël, c'est celle de la paternité. Paternité dont il a été privé depuis plus de onze ans après le divorce, sa femme l’empêchant d'avoir le moindre contact avec elle. Mais Raphaël est avant tout un musicien qui ne sait pas se déplacer sans son violoncelle, on a droit à quelques morceaux choisis comme la première suite pour violoncelle de Bach parce que c’était le morceau favori de Maude quand elle était petite. Plus qu'un thriller l'auteur aborde des thèmes écologiques, éthiques liés à cette chasse aux cétacés appelés grindadráp. Un scénario magnifique et grandiose où la barbarie vient côtoyer la nature encore sauvage de ces îles. Une tragédie à ciel ouvert où les brouillards noirs viennent vous retourner le cœur. Plusieurs facettes dans ce roman policier qui m'a emportée bien loin au-delà de l'hexagone sur un continent dur où l'on apprend ce que l'âme humaine peut avoir de sombre et d'insensible sous le couvert de la sacro-sainte tradition. Un travail de documentation précis et une belle plume à découvrir. Bonne lecture.
Mon portable a coassé une deuxième fois, puis une troisième. Je me suis levé sans entrain, un rien agacé par cette insistance à moins d’une paire d’heures du début du concert, en me promettant de remplacer ce chant de grenouille braillarde par une sonnerie moins inquisitrice. L’écran affichait une suite de chiffres qui n’éveillait rien dans ma mémoire. J’ai décroché en soupirant : – Oui. – C’est moi ! Il faut absolument que je te parle. La voix a cinglé mon cerveau. J’ai bredouillé : – Nathalie ? – Je sais ce que tu es en train de te dire, mais il faut que tu m’écoutes. – Alors c’est vraiment toi… J’étais abasourdi. – Ça fait plus de onze ans… Merde, onze ans ! – Mets ça de côté et écoute-moi. – Je ne sais pas si tu te rends bien compte ! – Dans quelle langue il faut que je te le demande ? – Je pensais ne plus jamais entendre le son de ta voix… – T’as pas changé. Je ne sais même pas pourquoi j’ai conservé ton numéro. On ne peut jamais compter sur toi. On n’a jamais pu. Puis elle a raccroché.
Il y a des mots qu’on aimerait ne jamais avoir à prononcer, des choses que l’on voudrait ne jamais entendre et des situations auxquelles on ne devrait jamais avoir à faire face. Vivre, c’est être sur ses gardes en permanence, c’est ce que je me suis dit. J’avais baissé la mienne, de garde, depuis pas mal d’années déjà. J’avais continué à avancer en me demandant comment j’avais bien pu passer autant de temps loin de Maude, comment j’avais bien pu laisser Nathalie orchestrer sa fuite sans me rendre compte de ce qu’elle tramait. « Tu n’as jamais été suffisamment combatif », c’est ce que je me répétais souvent. Le jugement est une chose, l’abdication en est une autre. Et voilà que le feu s’avivait de nouveau sous des vents nauséabonds.