Sukkwan Island
David Vann
David Vann est né sur l'île Adak, en Alaska. Après avoir parcouru plus de 40 000 milles sur les océans, il travaille actuellement à la construction d’un catamaran avec lequel il s'apprête à effectuer un tour du monde à la voile en solitaire.
Auteur de plusieurs livres, il vit en Californie où il enseigne également à l'Université de San Francisco. Sukkwan Island est son premier roman traduit en français.
Ma chronique
Sukkwan Island, est écrit en deux parties, comme un avant et un après. La fin de la première partie m’a littéralement bluffé, j’étais parti sur autre chose et je ne m’attendais pas au coup de bâton derrière les oreilles. Tout commence si bien avec un beau projet, une sorte de retour aux sources d’un père et son fils à l’intérieur d’une petite île en Alaska. Un talent certain de l’auteur pour nous faire vivre les paysages , la nature grandiose, la faune, la flore et tout ces petits rien qui font de l’isolement en pleine nature quelque chose insidieusement angoissant. On sent la tension monter au fil des chapitres, quelque chose d’horrible va arriver mais nous ne savons pas quoi, pourtant tous les signes sont là. De plus en plus évident une lente montée en puissance qui trouvera son aboutissement en fin de première partie et qui laisse le lecteur complètement sonné et désemparé. Un huit clos infernal s’installe entre un père qui ne va pas bien et un fils d’une loyauté sans faille et d’un courage exceptionnel pour ses treize ans. Les dialogues sont toujours brefs et concis pas un mot de trop, pas de sentiments exprimés, un texte entre hommes même si à l’autre bout de la relation, il n’y a qu’un enfant. La relation père/fils comme je ne l’aurai jamais imaginé, l’amour est bien là et pourtant il est à la hauteur des grandes douleurs éprouvées et par l’un et par l’autre. Le style de l’auteur si vif et tranchant à bien failli avoir raison de mon empathie pour les personnages c’est percutant dérangeant et parfois incompréhensible de mon point de vue mais il en ressort une force, une puissance qui va tout bousculer et l’oppression est à son comble. La seconde partie telle un long chemin de croix pour le père est terrible. Vivre l’abandon, l’impuissance, la grande solitude et tous les tourments par lesquels il passera nous montre un père imparfait dans toute son humanité. On se demande jusqu’où ira la chute. Ce roman est fabuleux et dérangeant il reste un des romans les plus forts en suspense et émotions que j’ai lu, je vous en souhaite bonne lecture.
Citations :
Au cours des deux jours suivants, sous la pluie, ils taillèrent des perches pour le premier toit et pour un deuxième, plus petit. Ils les scièrent à bonne longueur et les ébranchèrent à la hachette. Roy observait le visage grave et mal rasé de son père tandis qu'il s'affairait, la pluie froide gout tant du bout de son nez. Il semblait en cet instant aussi solide qu'une statue de pierre, ses pensées tout aussi immuables, et Roy ne pouvait rapprocher ce père de l'autre, qui pleurait et se désespérait et ne dégageait rien de rassurant. Roy avait de la mémoire, et pourtant il lui semblait que le père qui l'accompagnait à un moment précis de la journée était l'unique père qu'il pût avoir, et c'était comme si chacun de ces modèles successifs effaçait systématiquement les autres.
Roy se sentait détendu, heureux et en sécurité, et ce ne fut qu'une fois l'avion en plein demi-tour pour repartir qu'il se rendit compte que cette sensation ne durerait pas. Il le regarda s'envoler et comprit que tout allait recommencer comme avant, qu'un mois ou deux passeraient, peut-être même plus, et il se souvint qu'ils avaient prévu de rentrer pour une semaine au moins à la fin de l'été, soit exactement en ce moment. C'était ce qui était prévu à l'origine, mais pour une étrange raison ce n'est pas ce qui s'était passé.